Question d’alimentation

Le 16 octobre est la Journée Mondiale de l’Alimentation (JMA). Depuis son instaJMA_2015uration en 1981 par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) des Nations Unies, cette journée vise à sensibiliser le grand public et les dirigeants sur les questions liées à la pauvreté et la faim. Cette année, le thème de la JMA est la protection sociale : briser le cercle vicieux de la pauvreté rurale.

Dans le cadre de cette journée, SMAC vous invite à faire un survol de la situation de l’alimentation au Guatemala, notamment en ce qui concerne l’accessibilité aux terres et les conditions climatiques qui ont un impact sur la sécurité alimentaire.

En juillet 2015, le Guatemala comptait une population de 15,3 millions de personnes, ce qui en fait le pays le plus populeux d’Amérique centrale. Sa population croît au rythme annuel de 2,6%, selon population division of the department of economic and social Affairs of the United Nations Secretariat.

Un rapport de 2014 intitulé El derecho a la alimentacion de Guatemala y Nicaragua estime que 14,3 % (2,2M) de la population du Guatemala souffre de sous-alimentation. Parmi ces personnes, le taux de malnutrition infantile est de 49,8 % pour l’ensemble du pays et de 65,7 % chez les enfants des familles autochtones, la majorité de ceux-ci sont mayas. En guise de comparaison, disons que le pays qui détient la triste palme de la sous-alimentation chronique infantile dans le monde est l’Afghanistan avec un taux de 59 %.

On étudie la sous-alimentation en fonction de divers facteurs. Au Guatemala, la disponibilité alimentaire est principalement affectée par des facteurs environnementaux tels que la sécheresse, les inondations, la déforestation et l’érosion des sols. S’ajoutent à cela des politiques économiques agricoles inadéquates comme un système inéquitable de redistribution de la richesse et des ressources énergétiques. Certaines populations du Guatemala sont plus affectées que d’autres ce qui rend leur risque d’insuffisance alimentaire plus grand.

Pourtant, le Guatemala possède des terres très fertiles qui pourraient théoriquement répondre aux besoins nutritionnels de la population. En 2006, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, M. Jean Zeagle, écrivait :

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Travailleurs de San Andres, Xunil

Le Guatemala continue d’être l’un des pays au monde avec le plus d’inégalités dans la répartition des ressources naturelles ainsi que dans la concentration des terres et des richesses. Cela résulte de décisions socio-économiques qui ont toujours démuni et marginalisé les populations autochtones en leur refusant droits de propriété sur leurs terres ancestrales, droits du travail et en n’empêchant pas la discrimination raciale dont ils sont victimes dans l’ensemble de la société.

Il y eut au Guatemala une première tentative de réforme agraire en 1945. En 1952, le Congrès vota le décret 900 de la Loi de réforme agraire. Celui-ci déclare que les grands domaines non cultivés seront démantelés et redistribués aux paysans sans terre par le biais de comités agraires locaux. Malheureusement, ce décret ne pu être appliqué qu’une dizaine d’années puisqu’un coup militaire stoppa la redistribution des terres.

Les années 1960-70 furent une période de répression ciblée. Les réformes proposées par le gouvernement militaire étant défavorables aux populations paysannes. C’est une époque mouvementée où plusieurs groupes armés se livrent des luttes intestines. « La pauvreté et la frustration augmentent. C’est ce qui poussera notamment au début des années 1980, la création du CUC (Comité d’Unité Paysanne). Ces groupes luttent essentiellement pour la réappropriation des terres dérobées depuis le début de la colonisation. » (Louise Bourque, SMAC) Des titres de propriété sont ainsi obtenus par certains regroupements de paysans.

Les manifestations et démarches pour l’accès aux terres sont des réalités encore présentes au Guatemala. Ces combats se mènent dans les sphères économiques, sociales et politiques.

Lors du séjour des stagiaires de SMAC au cours de l’été 2015, les participantes ont pu constater la persévérance des paysans dans le processus de possession des terres, trois villages ont été visités :

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Producteurs de café de Salvador Xolhuitz devant une usine de traitement de café inutilisée.

Las Morenas: propriétés cédées par le gouvernement guatémaltèque à la fin des années 50, début 60. Terres de pâturages, produisant aujourd’hui des cultures variées pour les besoins des familles. Population : 200 familles, 4 générations.

La Florida: fondé en 2004 après une occupation de deux ans d’une finca de café à l’abandon depuis 1994. Les habitants s’y sont installés après vingt années de recherche de relocalisation, louant auparavant leur force de travail dans de grandes fincas d’exploitation de café. La Florida est maintenant entreprise de culture de café et de banane biologique avec vermicompostage ayant en développement un projet d’écotourisme.

El Salvador Xolhuitz: fondé en 2010 après l’occupation d’une finca de culture et de transformation du café abandonnée depuis la faillite du propriétaire étranger. Aujourd’hui on y cultive des noix de macadam, du café, des bananes et du cacao. Biologique. Sur les 900 habitants, 200 sont âgés de moins de 15 ans.

Malgré cela, aucune des trois communautés agraires visitées ne semble prospère. Toutes connaissent des problèmes financiers reliés au développement ou simplement d’entretien. Leur production agricole est vendue sur le marché local ou est utilisée directement dans l’assiette des membres de la famille, indiquant qu’il s’agit d’une culture de subsistance. La variété des aliments cuisinés mis sur la table est peu diversifiée leur quantité maigre.

Les carences nutritionnelles au Guatemala sont indéniables. Beaucoup d’enfants de moins de cinq ans ont un poids insuffisant ou une taille basse pour leur âge. Ce ralentissement de croissance est plus important chez la population indigène, rurale et ayant un niveau d’instruction plus bas, ainsi que dans les régions nord, sud-ouest et nord-ouest du pays. Les femmes en âge de procréer de ces régions souffrent d’anémie et ont d’autres carences alimentaires comme un déficit d’iode. (FAO 2010)

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Femmes préparant les collations pour la cantine de l’école Sibana Centro.

Afin de pallier ces problèmes, le gouvernement du Guatemala a récemment mis en place dans les écoles primaires des cantines d’aide alimentaire (semblable à l’organisme québécois Club des Petits Déjeuners). C’est le gouvernement de Pérez Molina (2012-2014) qui institua un Plan national (el Pacto Hambre Cero) visant la réduction de la sous-alimentation chronique et ainsi que la réduction des mortalités dues à la dénutrition aigüe. L’implantation de cette initiative semble porter fruit puisque selon les résultats de l’enquête de suivi du plan de juillet 2014, la sous-nutrition chronique et l’anémie chez les enfants de moins de cinq ans ont baissé respectivement de 1,7 % et 4,5 %.

Un autre aspect majeur ayant un impact sur la sécurité alimentaire concerne le climat. Plusieurs années de suite, plusieurs ouragans ont ravagé les récoltes au Guatemala. En 2015, ce fut une vague de sécheresse qui posa problème.

Un rapport émis en septembre 2015 par la FAO mentionnait que le Guatemala aurait perdu 80 % de ses récoltes, notamment 55 000 tonnes de maïs et 11 500 tonnes de haricots, touchant ainsi plus de 150 000 familles. Selon le rapport, il serait encore possible de compenser une partie des pertes de haricots grâce à une deuxième récolte. Par contre, le recouvrement des pertes de maïs ne semble être possible état donné les pluies insuffisantes ne permettront pas sa maturation. La FAO a dû aider le gouvernement guatémaltèque à distribuer d’urgence des vivres à 110 000 familles. L’organisation aide aussi au renforcement des systèmes d’alerte, de développement de plans de gestion de crise afin de mieux faire face au phénomène d’El Niño. Un meilleur accès aux semences pour les agriculteurs est aussi mis en place.

Les paysans guatémaltèques tentent tant bien que mal de subvenir à leurs besoins alimentaires. L’accessibilité des terres demeure un enjeu majeur, tout comme les changements climatiques. La vie du campesino n’est pas facile. Il ne mange pas toujours à sa faim, et ce, malgré les initiatives récentes du gouvernement du Guatemala et le soutien d’organismes internationaux. Les stagiaires SMAC 2015 peuvent en témoigner. Voilà pourquoi des Journées mondiales de l’alimentation sont nécessaires pour éveiller les consciences ou les rappeler à notre attention.

Texte écrit par Denise Tanguay, en collaboration avec le comité sensibilisation SMAC.

Bibliographie :